SHARMILA - Episode 4
Au fil des rencontres, des discussions à bâtons rompus où ils opposaient leurs points de vue, François et Sharmila devinrent très proches. Chacun, imprégné de son identité, de son univers, tentait de s’immiscer dans celui de l’autre. Comme si deux sphères hermétiquement closes, essayaient de trouver un point d’ancrage, une intersection personnifiée. Tous les couples ont une approche identique mais celle de François et Sharmila était plus complexe encore. Elle était commune à tous ces êtres de cultures différentes qui, attirés justement par cet antagonisme, cherchent à trouver malgré eux, les indices d’un langage commun.
Ils ne pouvaient construire une histoire unique qu’en identifiant clairement leurs quelques ressemblances. C’était dans cette quête incertaine que François et Sharmila s’étaient inconsciemment engagés.
L’amour n’était qu’un aboutissement de cette démarche. Cet amour tissait ses liens sur un matériau qu’ils avaient créé. Il n’existait pas de terreau préexistant, ni d’environnement connu et commun, capable d’apporter des réponses aux questions que se posent tous les couples ayant décidé de s’aimer.
Eux, érigeait cette union, sur une base vierge, où chacun posait des éléments de construction avec sa propre culture, sa vision du monde, sa morale, ses codes. François et Sharmila semblaient constamment à la recherche l’un de l’autre, et c’est dans l’union des corps qu’ils trouvaient une réponse à cette quête.
Malgré sa longue réticence à s’opposer à la tradition de la chasteté des filles avant le mariage, Sharmila céda au désir de François, comme une offrande.
Elle avait été élevée dans une culture où la femme se prépare tout au long de son existence à donner, et à se donner. Il ne s’agit pas ici de mener la jeune fille seulement à procréer, comme l’envisage, souvent, les différents dogmes religieux occidentaux, mais de la préparer à offrir à l’homme, qui sera son époux, le don de sa féminité.
Dès son plus jeune âge, la jeune fille indienne a les yeux noircis de khôl, les cheveux enduits d’huile de coco et parfumés, la peau soignée, pour répondre aux attentes futures de cet homme. L’avènement de son statut de femme, prête à assumer une sexualité adulte, est fêté par sa famille lorsqu’elle devient nubile.
C’est alors qu’elle revêt pour la première fois le Sari. C’est par ce vêtement qu’elle devient réellement une femme. Par ce rite d’initiation, les parents annoncent à tous les amis de la famille qu’ils ont dans leur foyer une fille à marier, et par là-même, une dot à céder.
La mère de la jeune fille lui a appris, par suggestion, les mots, les gestes de l’amour comme on enseigne une religion. Un catéchisme de l’amour que toute femme indienne possède dès son plus jeune âge, parfois inconsciemment.
C’est ainsi que Sharmila avait été éduquée et l’amour qu’elle faisait avec François était emprunt de cette sollicitude, de cette attention extrême à lui donner ce qu’il attendait, ce qu’il n’osait demander, mais qu’elle devinait.
François était ému par ce don de soi, et il ressentait avec Sharmila un plaisir extrême qui trouvait son origine, lui semblait-il, dans cette appropriation totale d’un corps exclusivement voué à le satisfaire, un être qu’il dominait. Cette sensation unique de force et de pouvoir lui apportait un bonheur, dont il se sentait vaguement coupable, lui jeune occidental, mais auquel il finissait par céder rapidement.
François et Sharmila avaient la volonté de trouver une même complémentarité dans le quotidien de leur amour. Le cheminement était long et c’est ensemble qu’ils forçaient les obstacles qui se présentaient à eux.
Seulement Sharmila était issue d’un milieu dans lequel la conception du couple et de la famille était ancrée dans la tradition. Chaque jour, lorsqu’elle rentrait chez son frère, elle se replongeait dans un environnement, dans un mode de pensée, une conception de la vie, opposée à celle qu’elle vivait dans les bras de François. Cet antagonisme, ce dilemme devenait très difficilement viable et supportable d’autant que son frère Anil et son épouse, ignoraient cette union.
Un soir, François lui fit part de la nécessité maintenant de vivre ensemble et de révéler à tous l’existence de leur relation. Ce qui paraissait naturel à François ne l’était absolument pas pour Sharmila.
C’est à partir de ce jour que tout a basculé.
(A suivre…)
> Ananda
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