A toutes les époques, dans tous les pays, il y a toujours eu un écart entre les générations. Les générations nouvelles suivent un chemin différent de celui de leurs parents, et ces derniers ont souvent du mal à comprendre et accepter cette voie nouvelle, suivie par leurs progénitures.
Mais en Inde, ce n'est pas un écart qui existe entre les jeunes de ma génération et leurs parents, c'est un fossé, un mur d'incompréhension. Tandis qu'une génération tente de s'affranchir de certaines traditions (influencée par la culture occidentale, il est vrai, mais est-ce toujours un mal ?), l'autre veille au respect de ce qu'ils ont toujours connus. Parmi la jeunesse Indienne que je côtoie, certains sont riches, d'autres ne le sont pas. Certains fréquentent les cercles d'étrangers, d'autres ne connaissent que moi comme étranger. Il y a des hommes, des femmes, des hindus, des chrétiens, des sikhs, des musulmans, des bouddhistes.
Mais tous sont indiens, et ne peuvent donc pas, en théorie, faire ce qu'ils veulent. Parmis mes amis, certains fument, des cigarettes ou du shit, certains boivent, certains hindus mangent de la viande, du boeuf même, certains sortent en boîte de nuit, d'autres ont des petits copains/copines. Mais tous sont Indiens. Donc officiellement, ils ne font rien de tout cela. Aucun de mes amis n'a dit à ses parents ce qu'il faisait. Certains n'ont même pas osé dire qu'ils partaient en WE à la plage ! Cela est totalement inimaginable, impensable, voire dangereux parfois ! Un de mes amis Sikhs boit et fume : sacrilège ! Si ses parents le savaient, il serait rapatrié illico à Chandigarh, sa ville natale. Un groupe d'indiens, que j'ai rencontré la semaine dernière lors d'un WE à la plage, rentrait dans l'eau pour la première fois, les filles se baignant en jean et T-shirt bien sûr. Impossible là encore que les parents soient au courant !
Cette jeunesse indienne, celle qui profitera et profite déjà du développement de leur pays, est donc à des années-lumière de leurs parents. Le mariage est un autre exemple, bien connu et dont j'ai déjà parlé, mais qui constitue l'aspect le plus sensible du fossé générationnel. Jusqu'à présent, je n'ai rencontré que deux personnes me vantant les avantages du mariage arrangé : une indienne et un français d'origine indienne ! Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que je remarque que beaucoup d'indiens vivant hors d'Inde sont plus traditionnels que les vrais Indiens. Peut-être cherchent-ils par ce biais à retrouver des origines qu'ils ont quittées (je me doute que ces deux phrases susciteront chez les lecteurs, dont une partie est constituée de français d'origine Indienne, de vives réactions). Néanmoins, tous les autres rejettent, ouvertement ou intérieurement, sans toujours oser l'exprimer clairement, cette conception d'un mariage des familles, dans laquelle l'enfant n'intervient pas, ou peu. Les jeunes voient ces sociétés extérieures dans lesquelles la notion d'amour a une valeur. On peut éventuellement critiquer le fait d'avoir des petits amis avant le mariage, mais ne pas choisir celui ou celle qui partagera chacun des moments de sa vie ? Cette jeunesse a parfois des petits ami(e)s, le cachent parfois à leurs amis, souvent même, ou souhaiteraient pouvoir en avoir. Mais évidemment, il serait impossible et dangereux que les parents le sachent.
Je veux insister sur le fait que cet écart générationnel existe partout, en France aussi, mais que son ampleur n'a absolument aucune commune mesure avec ce que j'ai pu connaître auparavant, dans les pays dans lesquels j'ai travaillé précédemment. Comme me l'ont dit certains amis Indiens, ils sont cette jeunesse sacrifiée (je pèse mes mots qui sont les leurs) qui aspire à un avenir différent mais qui subira pourtant le poids du passé. Par contre, tous me l'ont dit, ils cesseront de transmettre ces traditions dans lesquelles ils ne se reconnaissent pas.
> Sébastien C.
Les tensions des relations inter-générationnelles sont communes à toutes les civilisations. Mais je veux bien croire qu'elles soient particulièrement aigües en Inde. Pour cause, les traditions y sont puissantes. Et pesantes aussi. En s'en tenant aux exemples (réels) que tu nous révèles, Sébastien, je tiens le point de vue suivant : ce n'est pas tant les pratiques traditionnelles qui sont discutables, que la manière de les transmettre. Car si les jeunes cachent ce qu'ils font, c'est bien entendu parce qu'ils savent qu'en face, ce sera incompréhension et rejet. Eduquer, c'est transmettre une vision de la vie et non édicter simplement des pratiques. C'est inculquer en expliquant, et non imposer sans discussion. Il est indispensable d'ouvrir un espace de débats, c'est aux générations plus âgées de créer cet espace pour leurs jeunes. Car c'est tellement vrai qu'une nation qui n'écoute pas sa jeunesse, est une nation perdue.
Rédigé par : Charles (du Sari Dévoilé) | 13 juin 2009 à 00:37
Bonjour Sébastien
Bien sûr que les conflits de générations ont toujours existé. Le monde progresse, les jeunes suivent le mouvement et les anciens soupirent après un temps passé forcément meilleur.
Est-ce un mal d'être tourné vers la culture occidentale au détriment de la sienne propre ? Tu dis que certains jeunes autour de toi boivent, fument, fréquentent des ami(e)s, mangent de la viande, vont à la plage, mettent des vêtements occidentaux. Est-ce là tout ce qu'ils retirent de la culture occidentale autrement plus riche ? En plus ils mentent à leurs parents et se mentent à eux-mêmes. Cela les rend malheureux en fait. Voilà c'est ce que je veux dire, pour eux c'est en adoptant une partie vile de la culture occidentale que ces jeunes se mettent en conflit avec leurs parents. Et puis ce sont surtout des jeunes de niveau social moyen ou plus riche. Les autres restent dans leur tradition, peut-être comme tu le dis bien malgré eux.
Les anciens ont des valeurs qui justement détiennent cette faiblesse d'être trop rigide, donc trop différente de la culture occidentale. Mais c'est là le devoir des parents d'inculquer ces valeurs même si elles ne sont plus vraiment d'actualité. Il en restera toujours quelque chose.
Au sujet de ces Indiens de la diaspora qui cultivent leurs origines, je ne te contredirais pas. Vu de l'extérieur, cette culture indienne, que les Indiens de l'Inde semblent à tout prix noyer dans la masse culturelle occidentale, détient des trésors philosophiques, artistiques, spirituelles indéniables et les Indiens de l'Inde ne les voient plus. Ils sont emportés dans le tourbillon économique actuel. Et franchement le pouvoir de l'argent fait perdre son âme. En fait nous, Français de l'Inde, nous cherchons à protéger notre être essentiel de l'environnement dans lequel nous nous baignons. Assumer notre origine et notre bi culture. En Inde ce n'est pas la même chose. Quand on vit dans une culture, dans une tradition, ce qui vient de l'extérieur semble toujours plus attrayant.
Ah oui ! Les mariages arrangés ! Ce qui me surprend c'est que tu dises que ces mariages se préparent sans l'accord des intéressés. Globalement tu sais les jeunes sont présentés l'un à l'autre lors d'une réunion des deux familles. Et on leur demande après la rencontre leur opinion. La façon dont tu en parles me fait penser à des mariages forcés ! Dans la tradition indienne l'amour est secondaire dans un mariage. Le mariage a pour but de consolider la société. Bon ayant une petite expérience de la chose, l'amour n'est pas si mal après tout !!! Et des mariages fondés sur l'amour et le respect peuvent aussi très bien fonctionner.
Oui les jeunes Indiens actuels sont "sacrifiés" sur l'autel de la modernisation de la société indienne. Cette Inde en pleine transformation ne pourra prendre son essor sans cela. Je pense aussi que ces jeunes perdront les fondements de leur culture d'origine, lui donnant des notions passéistes. Leurs enfants le leur reprocheront un jour. C'est le risque de l'envol économique actuel : perdre son originalité.
A bientôt de te lire de nouveau.
Rédigé par : Jer | 07 juin 2009 à 21:55