SHARMILA - Episode 2
« Que faites vous ici ? Que voulez-vous ? » cria-t-elle. Devant elle, se tenait un homme d’une taille imposante. Son visage, sombre, était affublé d’une moustache noire, mal taillée, aussi épaisse que ses sourcils. C’était Monsieur Sandhu.
Comme bon nombre d’indiens, Sharmila était arrivée en France grâce à l’aide financière de son frère qui avait du débourser 5000 euros à cet intermédiaire. Mais cette somme ne représentait qu’une avance et il restait 7000 euros à payer.
« Ton frère aurait dû me régler le reste depuis dix jours déjà… »
- Je sais Monsieur Sandhu mais il a eu des dépenses et sa femme attend un bébé… Vous savez que je travaille aussi pour rassembler cette somme et vous aurez votre argent dans quelques mois.
- Sais-tu que d’autres personnes sont dans ton cas en Inde et attendent que je leur fournisse le billet d’avion et que j’arrange tout à leur arrivée ? Avec quel argent pense-tu que je les aide ? Toi tu habites chez ton frère, mais il faut trouver un hôtel ou un appartement aux autres… les installer… les habiller…
Le ton de Monsieur Sandhu devenait agressif et sa voix s’amplifiait progressivement, faisant se retourner les passants. Ses yeux devenaient menaçants et Sharmila commençait à craindre une réaction violente. Quand soudain, elle aperçut le jeune homme rencontré le matin même dans le métro et qui lui avait souri. Il s’approcha et Monsieur Sandhu se calma aussitôt.
- Je te préviens que tu as trois mois pour me rendre cet argent, sinon la prochaine fois je ne serai pas seul crois moi… et ton frère pourra s’inquiéter… » dit-il en chuchotant sur un ton menaçant.
Le jeune homme du métro arriva près de Sharmila et toisa Monsieur Sandhu d’un regard autoritaire, ce qui suffit à éloigner l’intermédiaire.
- Bonsoir, que se passe-t-il ? Cet homme vous importunait ?
- Non… non… c’est… c’est mon oncle… Il n’aime pas quand je termine si tard !
- Ah tant mieux, je pensais qu’il vous agressait... vous aviez l’air si terrorisée ! Vous travaillez ici ?
- Oui, oui, mais là, il faut que j’y aille. Merci pour votre aide… A bientôt. Venez me voir si vous voulez à la librairie…mais là je dois partir… Au revoir.
Sharmila se précipita pour rejoindre la station de métro. Son frère habitait à Bondy en banlieue parisienne. Cette conversation avec Monsieur Sandhu l’obsédait… Que faire, que dire ? Elle devait en parler en tête à tête avec Anil…
Elle rejoignit la table familiale.
Depuis qu’il avait épousé Sarodja, Anil, son frère, avait adopté un mode de vie traditionnel. Les repas, strictement végétariens, étaient pris après une méditation. Sarodja aurait souhaité que sa belle-sœur soit plus « indienne » et n’appréciait pas les tenues échancrées de Sharmila. Mais la douceur et la joie de vivre de la jeune fille contribuaient à faire oublier ces « écarts ». Le mariage d’Anil et Sarodja avait été arrangé par leur famille respective, avec l’assurance de perpétuer les valeurs d’une même caste et d’une même religion. Les époux étaient convaincus que leur amour, construits par les liens du mariage, n’en avait que davantage de force, ce que Sharmila avait du mal à comprendre.
Leur deux fils, Amrit et Rajesh, étaient, eux, très occidentalisés. Ils n’appréciaient que modérément la cuisine épicée et ne parlaient pas tamoul. Une rare complicité s’était créée entre eux et Sharmila. Et chaque soir, après le dîner, elle tenait, à leur parler de l’Inde, de cette vie insouciante qu’elle avait quittée, des promenades avec ses amies sur le cours Chabrol à Pondichéry, lorsque le soleil nimbe les saris des jeunes femmes d’un halo mordoré, lorsque les vendeurs de samossas et autres friandises hèlent les promeneurs en poussant leurs petites échoppes ambulantes. Au milieu des éclats de rire des enfants, elle aimait leur décrire la folle course des rickshaws au milieu du flot des voitures, les courses des petits singes affairés à voler sur les étals des marchés… En l’espace d’une soirée, c’est toute son enfance qui ressurgissait et lui faisait oublier, un instant, la dure réalité qu’elle devait maintenant révéler à son frère Anil… (A suivre…)
> Ananda
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