La situation dans le Karnataka, province dont Bangalore est la capitale, s'électrise de plus en plus depuis quelques mois. Peut-être est-ce dû à l'approche des élections. Toujours est-il que des situations assez déplorables se passent ici depuis quelques temps. Comme je le disais dans un article précédent, 3 femmes s'étaient faites agressées dans un bar de Mangalore parce qu'elles portaient des tenues occidentalisées.
Il y a un mois, la même chose s'est produite à Bangalore. Une quinzaine d'hommes sont rentrés dans une boîte de Bangalore et ont frappé des femmes habillées à l'occidentale. Ils leur ont déchiré les vêtements et les ont frappées. Et une fois encore, impossible de porter plainte car cela aurait été bien plus dangereux que ce qui leur était déjà arrivé. Le parti actuellement en place est très nationaliste, et prône un retour à des valeurs plus traditionnelles. Si ce parti n'a pas directement participé à ces actions, il ne les a en tout cas pas condamnées !
Il y a dix jours, une soirée avait lieu dans un lieu privée. Bangalore subit un couvre feu depuis deux ans : il est interdit de mettre de la musique après 23h30. Or, de très nombreuses after party ont lieu tous les week-ends. La police passe souvent pour récupérer des pots de vin mais cette fois, une vraie opération a été montée. La police est arrivée dans la soirée et a arrêté une cinquantaine de personnes, dont une majorité d'étrangers. Il ont alors passé 3 jours en prison dans des conditions lamentables.
Dans le même temps, deux françaises habitant dans le même quartier que moi ont subi des vols et intimidations multiples de la part de deux jeunes indiens. Elles ont été volées, puis ensuite, ont été suivies pendant plusieurs semaines, embêtées à nouveau... La police a refusé de prendre leur plainte. Depuis, cela a fait la une des journaux et j'espère pour elles que cela a arrangé les choses. De même, depuis un ou deux ans, il est interdit de danser dans les boîtes de nuits. Quand on connaît les indiens et leur amour pour la danse et la fête, on comprend l'absurdité de la situation. Assez régulièrement, dans des boîtes très fréquentées des indiens, la fête bat son plein et tout le monde danse. Mais en plein milieu de la soirée, les vigiles peuvent arriver et demander à tout le monde d'arrêter car la police n'est pas loin. Cela m'est arrivé il y a deux mois. Tout le monde évacue la piste de danse et fait semblant de discuter et 5 minutes plus tard, tout le monde rejoint à nouveau la piste et danse.
> Sébastien C.
L'émancipation des femmes découle directement de la mondialisation en cours avec l'économie galopante en Inde. L'ouverture inévitable vers cette mondialisation et surtout vers l'occidentalisation comme mode unique de forme de société affole tous ceux qui prônent comme seule vérité, la vérité culturelle originelle. Dans leur vision, les femmes qui fréquentent les pubs contreviennent aux mœurs indiennes. Les politiciens locaux ont fait peu d’efforts pour venir en aide à ces femmes agressées. Au niveau national, seule Renuka Chaudhury, ministre d’état pour le développement de la femme et de l’enfant, et appartenant à la coalition de gouvernement menée par le parti du Congrès, a critiqué les hooligans, et déclaré que la ville était en cours de "talibanisation". Mais on a peu entendu les commentaires du parti du Congrès lui-même. De même que ces évènements ont eu peu de controverse parmi la population.
Je rappelle que ces partis nationalistes d'extrême-droite ont même menacés de marier de force des jeunes amoureux se baladant dans les parcs le jour de la Saint Valentin, journée "étrangère" aux fêtes hindoues.
La réponse à ces agressions met en valeur la célèbre non-violence de Gandhi. Les femmes ont envoyé des tonnes de culottes et autres sous-vêtements roses au siège de Sri Ram Sena.
Dans la même foulée, le journal indien de langue anglaise The Statesman s'est vu contraint de publier des excuses après un article très polémique sur les religions "oppressives". La communauté musulmane a peu apprécié.
C'est vrai que les modes d'action de ces groupes extrémistes posent un énorme problème pour l'avenir du pays. Ces coups d'éclat frappent de manière durable l'esprit indien, surtout ceux qui subissent de façon très négative la croissance économique. Devant la modernisation galopante, le mimétisme occidental croissant, avec la crise du chômage et les récents attentats de Bombay, les extrémistes hindous voient un terrain fertile à la diffusion de leurs idéaux. Dans un récent éditorial, le journal The Hindu a fustigé ces "relents fascistes se soldant par des actes de violences contre les femmes et les minorités". La mayonnaise est montée en puissance depuis plusieurs semaines, faisant rire sous cape les extrémistes, et l’encre coule à flot autour de la "talibanisation" de l’Inde, terme à la mode pris et repris par les médias et les politiques.
Donc là rien de spirituel, ni de religion. Juste de la politique et une peur de l'occidentalisation à outrance comme seule possibilité, et peur de perdre une identité nationale et culturelle. Les femmes sont un vecteur de cet état de fait. D'où leur agression. C'est pitoyable !
L'Inde doit trouver une alternative à l'occidentalisation tout en maintenant son économie galopante faisant naître une classe moyenne certes mais surtout une paupérisation toujours plus importante, donc des mécontents. Et conserver son identité culturelle. Un énorme pari à relever.
Une chose à préciser : la plupart des journaux nationaux indiens sont indépendants du pouvoir politique. Beaucoup plus que ceux français. Mais aussi plus agressif, ne respectant pas ou peu le politiquement correct. Ce qui n'est pas le cas en France !
Rédigé par : Jer | 21 mars 2009 à 11:43
Il me semble que le problème va bien au-delà des difficultés d’émancipation des femmes. Pas la peine d’aller très loin ; il suffit juste de reprendre froidement les faits énoncés par Sébastien : femmes agressées, coupables de se vêtir à l’occidental, couvre-feu à Bangalore pour éviter les débordements festives, ainsi que dans plusieurs villes indiennes je suppose, pots de vins de la police (c’est presque du pléonasme, police indienne/pots de vin), arrestation d’étrangers, vol et harcèlement des femmes occidentales (faits plutôt rares en Inde, du moins à ma connaissance jusqu’à présent), refus de la police de prendre leur plainte, interdiction de danser… L’énoncé des ces faits, considérés aujourd’hui comme "divers" donne une impression de malaise, voire d’inquiétude. C’est comme un signe annonciateur de ce que pourrait être demain l’Inde si...
Les enjeux économiques sont énormes, par conséquent il est important pour les politiques d’assurer leur présence au plus haut niveau, consolidant ainsi leur pouvoir. Aujourd’hui - c’est un avis très personnel - avant même de savoir si les femmes arriveront à se dépêtrer du carcan dans lequel elles sont enfermées, il est urgent de se pencher sur la problématique de l’intégrisme en Inde.
Je pense qu’il ne faut pas se focaliser sur les fait divers mais bien analyser la symbolique recherchée par les auteurs de ces actions. Plus les actions sont nombreuses et spectaculaires, plus l’impression d’omniprésence, donc d’influence, est grande. Plus les actions sont violentes plus la peur grandit. Il suffit de saupoudrer tout cela d’un patriotisme exacerbé et vous avez là une recette qui a très largement fait ses preuves pour l’accès au pouvoir.
Evidemment, je ne vis pas Inde. Je ne peux appréhender ces problèmes qu’à travers des témoignages, comme ceux de Sébastien, ou faire des recoupements entre les articles parus dans les journaux indiens et occidentaux. (Et d’ailleurs jusqu’à point les grands journaux indiens sont-ils indépendants de la politique ?). Toutefois, il semble évident que tous les signaux sont en état d’alerte maximum. C’est aujourd’hui que le poids des traditions pourrait peser dans la balance.
Un exemple entre autres : Quelle sera la position des partisans (nombreux) du mariage arrangé, voire forcé ? Comment vont voter les chercheurs acharné de dot ?
Tiens ! Une idée : j’ai une solution pour les familles indiennes qui ont des soucis avec leur progéniture féminine. Au lieu de chercher à les "caser" à tout prix, il suffit de les émanciper, ainsi plus de mariage arrangés, plus de dot ; les filles se débrouilleront pour trouver leur mari, et comme elles sont indiennes, elles aideront quand même leur parents. L’avantage 1 de cette solution : éviter de se casser la tête pour faire disparaître la fille. Avantage 2 : pas la peine de perdre du temps à trouver absolument le bon mari. Avantage trois : si elles disparaissent complètement (vendues, tuées, battues ou autres), elles rapporteront zéro centime à la famille. Par contre, si elles se marient selon leur désir, elles rapporteront toujours un peu d’argent. 10/20 euros par mois pour une famille pauvre, c’est mieux que 0 euro…
Mais cette solution n’est pas avantageuse pour les partis politiques hyper traditionalistes. En effet, émancipation rime avec révolution. Et si il y a révolution, leur rêve de pouvoir s’éloignera à jamais. Il ne faut pas se leurrer, dans l’Inde d’aujourd’hui, les enjeux ne sont pas d’ordre spirituel, ou culturel. Le pouvoir a besoin de moyen, donc d’argent. Et il y a beaucoup d’argent qui rentre en Inde. Enormément…
Une fois que l’argent sera dans les caisses, ils pourront ressortir toutes les divinités qu’ils veulent, afin d’envelopper leur actions dans une spiritualité très indienne.
Rédigé par : John | 20 mars 2009 à 16:15
bonjour Sébastien
J'ai été voir sur le net des reportages sur ces événements à Mangalore, et aussi des commentaires de journaux télévisés. Bon de façon unanime, tous déplorent ces faits. Et puis j'ai vu que certains agresseurs ont été arrêtés. A mon grand étonnement c'étaient des jeunes hommes !
Encore une fois, l'émancipation des femmes fait peur. Nehru avait raison : l'évolution d'un pays passe par l'évolution de la condition de la femme. Si les femmes deviennent indépendantes, les hommes perdent leur pouvoir sur elles. Cela va-t-il jouer en faveur des traditionalistes lors des prochaines élections législatives ?
Encore une fois, toute émancipation féminine est perçue en termes négatifs, comme si cela n'impliquait que l'alcool, les vêtements à l'occidental, la fréquentation des garçons, la drague et le sexe. Une autre chose : ces filles battues sont courageuses car malgré les risques elles osent continuer à fréquenter les pubs avec leurs copains et copines ! Une sorte de rébellion qui tiendra jusqu'à quand ? Jusqu'à un meurtre ?
Une remarque cependant : à Chennai, le couvre-feu est institué à 23h. Alors ? Quelle est la position des gouvernants d'état ?
A bientôt.
Rédigé par : Jer | 20 mars 2009 à 09:33