SHARMILA - Episode 6
"François,
Pardon de t’avoir quitté ainsi. J’ai longtemps hésité, pesé le pour ou le contre. Mais je me suis vite rendue compte que mon dilemne ne se limitait ni à toi ni à moi. Il nous dépassait. Notre amour était fort mais il ne l’était pas assez pour que je surmonte la rupture avec les miens, avec mon "indianité".
Je sais que tu m’aurais aidée mais ce sont ceux qui m’entourent qui m’aurait abandonnée et ça je ne l’aurais pas supporté.
Aujourd’hui, je suis mariée, plutôt on m’a mariée à un homme que je ne connaissais pas. Il est veuf. Il aurait été impossible pour moi d’épouser quelqu’un ayant eu une autre situation car je ne suis plus vierge… Il a apuré toutes nos dettes et mon frère et sa famille sont désormais libérés de leurs problèmes financiers.
Oublie-moi maintenant.
Merci, François, de m’avoir fait entrevoir le bonheur. Je t'aime encore.
Sharmila"
François, ne savait plus quels étaient les sentiments qu’il éprouvait à l’instant où il replia la lettre. Etait-ce de la tristesse envers celle qu’il aimait et qui n’avait pu choisir, de la révolte envers ce système qui ne semble autoriser aucune liberté individuelle, de la jalousie envers cette nouvelle vie, subie ? Il était désemparé et avait du mal à comprendre un tel gâchis.
Alors, il prit la décision d’aller la voir, là-bas à Pondichéry.
Les billets furent rapidement trouvés, le voyage organisé et il se retrouva dans ce pays inconnu à plusieurs milliers de kilomètres de la France.
Pondichéry grouillait de monde. Il croisait des regards immenses et il lui semblait reconnaître une multitude de Sharmila.
Après plusieurs jours à déambuler dans la ville, il interrogea un indien parlant un français impeccable mais avec un fort accent tamoul qui vivait dans le quartier que la jeune fille lui avait si souvent évoqué. Le vieil homme le pria de venir prendre un thé dans sa maison. La chaleur était étouffante et François accepta volontiers. Il s’agissait d’une ancienne demeure coloniale. Un jardin luxuriant menait aux marches de cette grande maison blanche. Des colonnes soutenaient un étage où une grande terrasse avait été aménagée. L’homme, très âgé, se déplaçait avec peine. C’était avec un plaisir évident qu’il parlait français car il n’arrêtait pas une minute.
Ils s’installèrent sur la terrasse ombragée et François goûtait avec délice ce repos rafraîchissant.
"Qui souhaitez-vous rencontrer chez les Gopuram ? demanda le vieil homme.
- Sharmila. Elle s’est mariée je crois.
- Vous la connaissiez ?
- Oui, je la connais. Je l’ai connu en France dans la Librairie des Patel."
A cet instant, l’homme changea d’attitude. Son visage s’assombrit et il semblait à François qu’il s’apprêtait à prononcer des paroles d’une grande gravité. Il choisit ses mots et continua en fixant les yeux bleus du jeune français.
- Je m’en doutais. Tout le monde connaît cette histoire ici.
- Quelle histoire ?
- Depuis qu’elle est revenue et après son mariage, Sharmila était très dépressive. Son frère avait même organisé un voyage pour lui changer les idées. Mais rien n’y a fait. On savait qu’elle avait eu un amour en France."
Le vieil indien regarda longuement François comme s'il reconstituait dans son esprit, encore vif, cette histoire qu'on lui avait si souvent colportée, mais qui, à présent, prenait une dimension bien réelle, avec des visages connus. Ce n'était plus un scénario de plus, comme ceux que les studios de Bollywood mettaient en scène, qui permettait d'oublier une réalité pesante et parfois cruelle, et laissait place au rêve et aux happy ends. Non, il avait face à lui l'un des acteurs de ce drame qui s'était joué dans son quartier et qu'il avait la plus grande peine à révéler.
Après un long moment de silence, éprouvant pour le jeune français, il reprit son récit :
"On l’a forcé à épouser M.Subramaniam. C’est très courant encore ici, vous savez ? Mais il faut l’oublier maintenant.
- Je veux la voir.
- Vous ne pouvez plus, c’est fini.
- C’est fini ?
- Elle s’est jetée d’un immeuble, du cinquième étage. Elle est morte sur le coup. C’était jeudi dernier. Je suis désolée."
Ces paroles avaient résonné comme une bombe. Mais curieusement, François, s’était déjà résigné. Etrangement, au fond de lui-même, il savait qu’une telle issue était envisageable, aussi atroce soit-elle. Etonnamment, il esquissa un vague sourire, comme abasourdi et saoulé par la chaleur accablante. Il fit ses adieux au vieil homme qui le regarda partir.
Les semaines qui suivirent furent éprouvantes pour François. De nombreuses interrogations se bousculaient dans son esprit.
Il décida de passer quelques mois en Inde. Il voulut s’imprégner de cette culture qu’il avait rencontrée à travers sa relation avec une femme mais sans jamais y pénétrer, comme si elle avait accepté de donner son corps mais n’avait rien voulu révéler de son âme indienne, du combat intérieur qui la dévorait et l’avait détruite. Il voulait comprendre la complexité de ce pays qui marchait vers le modernisme et le progrès, mais préservait avec force ses traditions.
Il voulait comprendre le mal être de Sharmila et marcher sur ses traces pour la garder à jamais auprès de lui.
Et c’est à travers ses périples indiens que François commença peu à peu à aimer ce sous-continent, avec ses paradoxes et sa cohérence, ses zones d’ombre et de lumière, son dynamisme et son fatalisme.
FIN
> Ananda
Jer,
Indiquez-moi à quel endroit je dis que qu'être moderne c'est perdre son identité ! En réalité, je réagis à votre optimisme excessif (illusoire ?) concernant l'harmonisation de la modernité et, ce que vous appelez, l'âme indienne. Je pense que la modernité "complique" la conservation de l'identité indienne, d'autant que les élites indiennes ont décidé de s'engouffrer activement dans la mondialisation. Cela n'est pas sans conséquence, et vous le minimisez, quoi que vous disiez. Ce n'est pas en donnant un nom sanscrit à un satellite, que l'on crée l'harmonisation des cultures ! Jer, moi aussi je souhaite que l'Inde garde son identité, sa fabuleuse personnalité et son unicité mais, et c'est ma raison d'avoir participé à la fondation du Sari dévoilé, je ne veux pas fermer les yeux sur les réalités à l'oeuvre. Par exemple, lorsque vous dites "Les politiques veulent la puissance mais le peuple a du mal à suivre !", vous n'êtes pas dans la réalité car il n'y a pas UN peuple indien homogène ! Comme dans tous pays, c'est un ensemble d'individus avec des intérêts divergents, voire conflictuels. Certaines catégories d'indiens sont en accord avec les politiques, et ils n'ont pas de mal à suivre ! Aujourd'hui, et vous le savez j'en suis sûr, l'un des défis de l'Inde est de se développer sans engendrer des inégalités, voire des fractures, entre ses habitants. Mais cela risque d'être extrêmement difficile. Je le voudrais tant mais, comme on dit, "les faits sont têtus". Il faut les accepter même s'ils ne sont pas ce qu'on aurait voulus.
Rédigé par : charles | 23 août 2009 à 23:32
Charles
Qu'entendez-vous par modernité ? Et par occidentalisation ?
Vous avez raison : le modernité EST occidentale. Car elle fait appel à la raison. Et la raison a été "inventée" par les philosophes grecs, Descartes, Kant, et bien d'autres. De plus la modernité existe en dehors de la religion, à travers le travail, l'amour, le marché, la démocratie, la nation, la liberté, l'égalité.
Je crois que l'Inde (notion très généraliste) aborde certains côtés de cette modernité avec parfois beaucoup de difficultés. Car elle tient compte de la volonté de son peuple. Les politiques veulent la puissance mais le peuple a du mal à suivre ! L'utilisation des techniques modernes aident à une vie plus facile mais n'imposent pas forcément l'occidentalisation.
J'attends votre réponse.
Rédigé par : Jer | 21 août 2009 à 11:02
Alors, Charles, être moderne c'est perdre son identité ? Alors qu'êtes-vous donc dans cette société: un Occidental ? Et pourquoi avoir fondé une association parlant de l'Inde ? Pourquoi l'Inde ? Pourquoi pas un pays occidental ? N'est-ce pas une façon de chercher votre identité dans cette société moderne ?
Pourquoi l'Inde attire-t-elle toujours autant des passions ? Ne serait-ce pas par ses traditions, sa philosophie, ses particularités, qu'on ne trouve nulle part ailleurs ? Et le mélange entre tradition et modernité ?
Faire sa puja à Shiva et utiliser un ordinateur après, est-ce incompatible ? C'est pourtant ce que font beaucoup d'hommes d'affaires indiens à Mumbaï avant d'aller au travail ! Et ce modèle de femme en sari, travaillant sur un ordinateur, ayant épousé un homme par mariage arrangé, existe. Peut-on dire que cela n'est pas moderne ? L'utilisation des techniques les plus modernes n'excluent pas la conservation de l'identité. Le satellite lunaire lancé par ISRO il n'y a pas très longtemps porte le doux nom de Chandrayaan,nom sanscrit de la lune. Référence traditionnelle et culturelle pour de la technique de pointe.
"tranquille dans son coin" veut dire à petits pas car vous le savez , je pense, l'Inde ne progressera qu'en réglant tous ses problèmes intérieurs. Et ils sont immenses ! Je ne les minimise pas !
Rédigé par : Jer | 20 août 2009 à 22:39
Bonsoir Jer,
Vous parlez de modernité avec conservation de l'identité ou de l'âme indienne. Mais la modernité exerce forcément une réaction sur cette identité, donc il ne peut y avoir conservation, de la même manière qu'un produit chimique instillé modifie forcément une substance pure. Et la modernité EST occidentale, parce que chacun d'entre nous (vous compris) n’arrivons pas à penser la modernité hors de l'occidentalité. Lorsque vous évoquez cette jeune femme qui téléphone à son mari en tapant sur son ordinateur, croyez-vous qu'elle soit encore dans la tradition ? Non, elle a accédé à autre chose, à autre chose qui est plus proche de l'Occident que de l'âme indienne. Et ses enfants amplifieront cette évolution. Votre erreur est de croire que le mobile ou l'ordinateur sont de simples objets. Ils sont des technique qui véhiculent un mode de vie à l'occidental, elles transforment donc forcément la société. Ne pensez-vous pas qu'entre internet et la vénération à Shiva, il y a un gouffre ? Et vous pensez qu'on peut harmoniser cela tranquillement ? être moderne et conserver son identité ? Voyez comme la télé a changé les mœurs dans les foyers. Ce ne sont pas les occidentaux, ou certains membres de la diaspora, qui diabolisons la tradition C'est l'Inde ELLE-MEME en ambitionnant d'accéder au rang de puissance, qui crée les conditions d'une société sous tension. Pour finir, ce n'est pas nous qui souhaitons une occidentalisation de l'inde, c'est l'inde ELLE-MEME (toute seule) qui emprunte la voie de la mondialisation, et il n'est pas raisonnable d'affirmer qu'elle sera harmonieuse. Ce ne sera sûrement pas "tranquille dans son coin".
Rédigé par : charles | 19 août 2009 à 22:27
Eh bien Charles du Sari Dévoilé, la réponse est dans votre question. Personne au monde n'imagine une modernité sans passer par l'occidentalisation de la société. Vu comme va la mondialisation, je ne pense pas que ce soit facile de passer outre. Mais pourquoi pas ? Cela serait innovant. Conserver son identité, sa façon de vivre, de penser, de se vêtir , de manger mais être moderne, utiliser les techniques actuelles, ce pourrait être possible.
Ce que je vois c'est le côté "sombre" de la culture occidentale adopté par la majorité des sociétés - je ne détaille pas mais vous comprendrez bien ce que je veux dire - et j'imagine volontiers qu'on puisse être habillé à l'indienne, manger avec ses doigts du carry bien épicé, et téléphoner à son conjoint épousé par mariage arrangé tout en tapant sur un clavier d'ordinateur ! Mais je rêve peut-être !!!!
Il faudrait en fait que vous définissiez votre idée de modernité à l'occidental. Moi je parle de modernité avec conservation de l'identité ou de l'âme indienne.
La balle est dans votre camp ; Amicalement.
Rédigé par : Jer | 01 août 2009 à 20:28
La guerre continue sur le blog... je suis d'accord avec Jer : on ne comprend pas la réflexion de Bhon Jean. Pourtant, cela semble intéressant mais bigrement confus ! Posez votre sujet clairement, Bhon Jean. Il y a matière à débat, je pense.
Jer, je vous pose la question "comment penser la modernité sans l'occidentalité ?". Que serait une modernité à l'indienne ? je veux dire une modernité qui s'abstrait de toute occidentalité, sans aucune trace d'occidentalité. Est-ce seulement possible ? si, oui décrivez-le moi. A vous lire.
Rédigé par : Charles (du Sari Dévoilé) | 14 juillet 2009 à 20:11
En réponse à Bhon Jean.
Je ne comprends pas ta réflexion. Si ce texte fataliste ne m'a pas vraiment touché, il exprime deux choses bien réelles : l'ignorance et l'incompréhension des Occidentaux de la mentalité indienne. Et parmi ces Occidentaux, certains membres de la diaspora indienne en France qui ont une vision très occidentale de l'Inde, voire très critique d'une mentalité qu'ils ont désappris à connaître. C'est peut-être normal car on ne parle ici que du "côté obscur" de la société indienne.
Pondichéry a toujours été "une fenêtre ouverte vers l'Occident". A cause de la présence des Français de l'Inde, en voie d'extinction. Et surtout par la présence de l'Ashram.
Une chose qui est cependant vraie dans ton discours, c'est ce que j'appelle l'occidentalisation de la société indienne. Tout rappel aux traditions, ce qui est constamment présent dans ce texte, porte l'expression du désastre, du fatalisme, de l'horreur, de l'ombre. Et amène au suicide. Que l'on porte le jeans ou le sari.
De toute façon, on continuera toujours à répondre aux questions en essayant d'expliquer les choses à des mentalités assez hermétiques et l'Inde continuera à progresser dans son coin tranquillement.
Rédigé par : Jer | 06 juillet 2009 à 11:47
ouaip !
"Et c’est à travers ses périples indiens que François commença peu à peu à aimer ce sous-continent, avec ses paradoxes et sa cohérence, ses zones d’ombre et de lumière, son dynamisme et son fatalisme".
On aime pas peu à peu.
Ce texte est d'évidence écrit par un occidental. Si, vous savez, l'espèce humaine dite supérieure dont la civilisation s'est éteinte au début du XXIe siècle.
Nous sommes ici dans les poncifs et l'atermoiement émotionnel, dans le refus de responsabilité et l'obscurité de l'esprit.
Je ne changerai pas un texte qui est digne de figurer dans une colonne de courrier international ou mieux dans un de ces magazine promotionnel d'ambassade.
Un indien de Pondy m'avait dit "tout ce dont rêve les indiens, c'est du retour des anglais". Pondicherry a toujours été une tête de pont de l'Occident et du christianisme en Inde. Le discours "petit indigène, nous t'apportons la civilisation, est dépassé, maintenant le nouveau discours c'est "ceux qui ne veulent pas changer (pour adopter un mode de vie idyllique de la démocratie) sont des passéistes, des traditionalistes, des rebelles, des terroristes, et doivent être éliminés.
Et c'est ainsi que l'association devint "le jeans dévoilé".
Ah, au fait, on ne dit plus pondicherry mais Puducherry (poudou tchery), tout comme on ne dit plus Madras mais Chennai (tchén nai) ni bombay mais Mumbai. (moum baï)
Un jour, pas si lointain, la promotion humaine n'existera plus, tout comme la servitude à l'Empire.
Rédigé par : bhon jean | 27 juin 2009 à 10:09